20 janvier 2007

Les Fiancés de 1812

Joseph Doutre, Les Fiancés de 1812, Montréal, Louis Perrault imprimeur, 1844, 493 p. 

Chateauguay, 1812. Gonzalve est un jeune colonel de 19 ans, orphelin, issu d’une noble et très ancienne famille montréalaise, ruinée malheureusement. Il est en poste à Chateauguay, ayant pour mission de ralentir la marche de l’armée américaine vers Montréal. Il a pour ami Alphonse. Lors d’une ronde, les deux se retrouvent face à face avec trois officiers américains. Ils ramènent un prisonnier, Brandsome, qui se révèle un gentleman et devient leur ami.

Gonzalve, un héros mélancolique, révèle à ses amis qu’il est amoureux de Louise de St-Felmar. Or, le père de la jeune fille ne veut pas de lui comme gendre, sous prétexte que ses statuts social et financier ne sont pas assez reluisants. Il a même organisé le mariage de sa fille. Celle-ci, révoltée, envoie une lettre à son amoureux pour l’avertir qu'elle allait le rejoindre. Elle fuit la maison, déguisée en jeune homme. Un batelier l’aide. Or, cet homme nommé LeGrand est le chef d’une organisation criminelle très structurée, avec des loges aussi bien au Canada qu’aux États-Unis. Louise est emmenée aux États-Unis. Là, les brigands ratent un vol et elle réussit à leur échapper. Elle est recueillie par le chef de police et sa femme.

Le père St-Felmar, mais aussi Gonzalve, chacun de son côté, partent à sa recherche. Les deux finissent par se rencontrer et Gonzalve sauve d’une mort certaine St-Felmar, en restant dans l’anonymat toutefois. Par ailleurs, un échange de prisonniers permet à Brandsome de regagner son pays. La première partie du livre se termine par la bataille de Chateauguay, expédiée en quelques pages. Comme on le sait, les Canadiens, nettement inférieurs en nombre, remportent une brillante victoire sur l’armée américaine.

Fac-similé de l’édition originale.
Réédition-Québec, 1969
Nous sommes maintenant en 1813. Les soldats canadiens sont toujours en poste à Chateauguay. Brandsome a rejoint Louise dans sa famille américaine. Le père St-Felmar, arrivé sur les entrefaites (comment est-il arrivé là ? Nul ne le sait!), la ramène chez lui. Le même manège recommence. Il la tient enfermée de peur qu’elle coure vers son amant. Il a même trouvé un second prétendant pour sa fille. Mais Louise réussit à avertir Gonzalve qui accourt. Au moment où elle doit dire « oui », il apparaît, ce qui permet à la jeune fille de s’évanouir (elle va s’évanouir à maintes reprises dans le récit). On la ramène chez elle.

La paix ayant été conclue, Brandsome vient visiter ses amis canadiens. Gonzalve et Louise, ulcérés des manigances du vieux St-Felmar, décident de le prendre à son propre jeu. Brandsome fait mine de faire la cour à Louise, ce qui plait au vieux qui organise un troisième mariage. Le soir précédant la cérémonie, Gonzalve et Louise, profitant du sommeil de St-Felmar et de la complicité de toute la maisonnée et même d’un évêque, se sauvent à Montréal et se marient.

On pourrait penser que le roman va se terminer ici, mais Doutre nous réserve une explication de 83 pages sur la vie tumultueuse de Gustave, le frère de Louise (personnage très secondaire jusqu'ici), envoyé en Europe dès son jeune âge pour étudier, et devenu chef des brigands (celui qui a aidé Louise à fuir au début du récit). Neuf ans passent. Tout le monde coule des jours heureux, sauf le vieux St-Felmar, toujours aussi fielleux. Un événement va le ramener à de meilleurs sentiments et va permettre à Doutre de clore ce roman interminable. St-Felmar apprend que c'est Gonzalve qui l'a sauvé d'une mort certaine, lorsqu’il est parti à la recherche de sa fille. Plein de remords, il fait la paix avec son gendre et décide de consacrer le reste de sa vie au bonheur des siens.

Joseph Doutre avait comme modèle Les Mystères de Paris d’Eugène Sue, que je n’ai jamais lu. Je doute que son roman puisse soutenir la comparaison. En fait, Les Fiancés de 1812 est un roman plutôt mal construit, mal écrit et mal édité (plein de fautes de toutes sortes). Plus encore, la partie historique est pour ainsi dire escamotée! Pas un mot de Michel de Salaberry qui s’illustra lors de cette bataille! C'est un roman d’aventures plutôt abracadabrantes (le résumé ci-dessus, déjà compliqué, escamote toutes les intrigues secondaires), qui aurait dû être davantage travaillé. Mais il ne faut pas être trop méchant et se rappeler qu’il est l’œuvre d’un jeune homme de 19 ans qui n’avait d’autres ambitions que de « donner quelqu’essor à la littérature parmi nous, si toutefois il est possible de la tirer de son état de léthargie ». Doutre ne s’illusionne pas sur la qualité de son œuvre et ne requiert qu’un peu d’indulgence pour la littérature canadienne naissante (voir la préface). Si l’élément historique et les qualités littéraires de l’ouvrage laissent à désirer, il en est autrement des idées véhiculées par le roman. L’auteur, qui va faire partie des Rouges et qui sera l’avocat de la veuve Guibord, émet des idées très libérales : il critique l’autoritarisme dont celui des parents ; il dénonce l’exploitation de l’homme par l’homme si bien qu’il réussit presque à rendre acceptable le métier de voleur quand il est pratiqué sans violence contre des riches ; il écorche au passage quelques politiciens ; à plusieurs reprises, il attaque l’Église (« Une expérience constamment réalisée à (sic) prouvé qu’il n’y avait pas de place où le crime se déchainait avec plus d’impétuosité que dans l’état ecclésiastique. », p. 434) ; il montre beaucoup de tolérance face aux mœurs très libres des Autochtones en matière de sexualité. 

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