7 avril 2008

Marie-Didace

Germaine Guèvremont, Marie-Didace, Montréal, Beauchemin, 1947, 282 pages.

Ce roman, divisé en deux parties, est la suite du Survenant

Le Survenant parti, une Survenante l’a remplacé. En effet, le père Didace, espérant avoir un « vrai Beauchemin » dans sa lignée, a épousé l’Acayenne Blanche Varieur. Une fois de plus, Amable et Phonsine se sentent menacés. Phonsine, enceinte, avec ses faibles moyens, essaie de rivaliser avec l’étrangère, mais elle ne fait pas le poids. Quant à Amable, il pleure sur son sort comme un enfant. Les deux craignent que l’Acayenne leur souffle l'héritage. Les choses s’enveniment sans cesse. Didace et son fils en viennent presque aux coups. Amable n’a plus le choix, il doit poser un geste d’éclat : il décide de quitter la maison pour forcer le père Didace à lui faire donation. Il se rend à Montréal pour travailler comme débardeur et, meurt dans un accident. Au même moment, Phonsine met au monde une petite fille prématurée qu’on prénomme Marie-Didace.

La deuxième partie nous amène six ans plus tard. Le bonheur semble de retour. La petite Marie-Didace fait la joie de son grand-père. Seule Phonsine continue de ronger son frein. Puis, en l’espace de quelques semaines, tout bascule. Didace meurt, ce qui donne l’une des plus belles pages du roman : «En retournant auprès de son père, Marie-Amanda s'arrêta, stupéfaite, au seuil de la chambre. Sur la courtepointe, un rayon d'ambre et d'or dansait. À la lueur du couchant, la tête de l'ancêtre flamboyait. Les traits affinés, le regard tourné vers le ciel en feu, Didace semblait ébloui. Un voilier de canards noirs traversa le rectangle lumineux. Aucun muscle ne vibra sur le visage du mourant. Marie-Amanda comprit que son père ne voyait plus clair.» Trois semaines plus tard, l’Acayenne meurt à son tour. Phonsine, se sentant coupable de la mort de celle-ci, sombre dans la folie. Il ne reste que Marie-Didace... et Angélina pour s’en occuper. La lignée des Beauchemin va s’éteindre.

Si Le Survenant était plutôt le roman des hommes, Marie-Didace sera celui des femmes. Dans la première partie du roman, la lutte entre Phonsine et l’Acayenne, l’intégration de l’Acayenne au Chenal-du-Moine et le deuil d’Angélina sont les événements qui animent le récit. Le Survenant parti, Phonsine est pour ainsi dire le personnage principal. Sous la plume de l’auteure, l’Acayenne devient rapidement un personnage bien campé, complexe, à moitié sympathique. On comprend qu’elle a épousé le père Didace par besoin de sécurité. Selon Phonsine, elle serait la plus détestable des femmes. Pourtant, les autres voisines et même Marie-Amanda vont la défendre, ce qui donne au lecteur un personnage tout en nuances.

Le survenant est encore très présent dans le roman. On pense qu’il a changé le cours des choses, et pas pour le mieux : « Le Survenant n'avait pas porté bonheur aux Beauchemin. Vrai, sa puissance magnétique n'avait plus guère de reflet sur eux ; mais le sillon de malheur qu'il avait creusé inconsciemment autour de leur maison, six ans plus tard le temps ne l'avait pas encore comblé. » À la fin du roman, Angélina croit le reconnaître dans une photo publiée dans le journal qui le présente comme un « Glorieux disparu ». Mais est-ce bien lui ? « "Enfin", pensa-t-elle, "il a trouvé son chemin. Il est rendu. " Un grand soupir lui échappa. Et elle pensa encore "II sait maintenant comment je l'ai aimé !" Aussitôt elle se chagrina d'avoir pensé à lui au passé. Et elle se sentit veuve. Un sentiment de fierté lui fit redresser la tête. Désormais, au lieu de l'humiliation de la vieille fille rejetée, elle porterait en sa personne la dignité d'une veuve. […] Tout de même, l'infirme eût aimé proclamer à tous les vents, au Chenal du Moine, que le Survenant avait fait sa part, qu'il était mort à la guerre, "les yeux au ciel, fier de repartir voir un dernier pays", en glorieux, comme il l'avait promis, non pas en trimpe, tel qu'on le lui avait prédit. Elle se tairait. On ne saurait rien de lui. Son silence serait sa revanche sur le vaste monde.... »

Ce que j’aime de Guèvremont, c’est qu’il n’y a rien de plaqué, comme c’est si souvent le cas dans les romans du terroir. Ici, pas de digressions, pas de morceaux de bravoure et surtout pas de thèse. Bien sûr, on assiste à la fin des Beauchemin, bien sûr on sent que le vieux terroir québécois agonise, mais l’auteure n’est là ni pour condamner, ni pour la nostalgie, ni pour les regrets, ni pour faire une quelconque démonstration. Elle décrit des êtres humains, leurs drames, leurs mesquineries, leurs faiblesses, leur générosité, leurs rêves, leur richesse, leur recherche du bonheur. Ce sont les commentateurs qui ajoutent les explications socio-historiques. En ce sens, Le Survenant et Marie-Didace, si identifiés à un petit hameau soient-ils, sont plus universels que bien des romans qui évitent toute couleur locale. ****½

Germaine Guèvremont sur Laurentiana
Le Survenant
Marie-Didace
En pleine terre


L’édition parisienne 

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