30 novembre 2009

Carquois

Albert Pelletier, Carquois, Montréal, Albert Lévesque, 1931, 217 pages.

Albert Pelletier (le père de Gilles et Denise) s’est surtout fait connaître comme l’éditeur courageux des éditions du Totem. C’est lui qui a publié Claude-Henri Grignon, Medjé Vézina et Jean-Charles Harvey au début des années 1930. Avant de se lancer dans l’édition, il était devenu un critique redouté, ne craignant pas de s’opposer aux grands bonzes que furent Camille Roy ou Louis Dantin. Il a publié deux recueils de critiques chez l’autre Albert, Lévesque celui-là (le père de Raymond) : Carquois (1931) et Égrappages (1933).

Carquois contient les dix chapitres suivants : « Littérature nationale et Nationalisme littéraire », « L'homme qui va », « Le secret de Lindbergh », « Poètes de l'Amérique française », « La flamme ardente », « Poèmes de jeunes filles », « L'offrande aux vierges folles et À l'ombre de l'Orford », « Littérature pour les enfants », « Les pierres de mon champ », « En guettant les ours ». C’est le sixième qui m’intéresse, soit « Poèmes de jeunes filles », dans lequel il critique Tout n’est pas dit de Jovette Bernier, La Course dans l’aurore d’Éva Senécal, Poèmes d’Alice Lemieux et L’Immortel adolescent de Simone Routier.

« Ces quatre livres pleins de poèmes me donnent l'impression de quatre ramiers chargés d'oiseaux. Impression de nature, comme du reste un grand nombre de ces feuillets, qui suffit à nous tenir sous charme. ». Ainsi débute sa critique plutôt sympathique à l’égard des apprenties écrivaines. Il faut dire que Pelletier, dans le débat sur la nationalisation de la littérature, défendait la thèse de l’ouverture. Et le fait que ces jeunes auteures laissent de côté les vieux thèmes rabâchés était de nature à lui plaire. Pelletier, qui file la métaphore sur les oiseaux pendant trois pages, finit par dire : « Car la faiblesse de ce monde charmant, qui chantonne avec grande aisance et beaucoup de grâce, c'est d’improviser presque toujours, et sur des sujets qui finissent par sembler invariables. »

Critique sympathique certes, mais non complaisante! Pelletier reproche à ce type de poésie, héritée du Parnasse, de tout sacrifier au style et de ne laisser aucune place au sujet. S’en suit une assez longue digression sur sa conception de la poésie : « Cela revient à dire que l'art du poète est avant tout d'imaginer et d'agencer, de la façon la plus logique et la plus parfaite possible, des faits, des idées, des sentiments, en vue d'une impression à créer; et que ce travail très intellectuel n'est pas seulement préliminaire et transitoire, mais doit se continuer dans la combinaison de tous les éléments qui composent le poème, et se perpétuer même dans les corrections et retouches, ou l'effort final vers la perfection. En poésie aussi bien qu'en prose, c'est là l'essence même de l'art littéraire; et l'habileté grammaticale, la science du vers, les théories d'écoles, la richesse du vocabulaire, et le reste, ne sont que d'utiles adjuvants. »

On en vient aux auteures. Pelletier préfère Bernier aux trois autres. « Sans doute les arcanes infinies de l'art n'ont pas révélé à Mlle Bernier tous leurs secrets. Les matériaux secondaires ont parfois plus d'éclat dans ses poèmes que leur assemblage total et définitif. Si elle se dirige d'ordinaire, sans détours inutiles, vers un terme, il arrive soit qu'elle intervertisse la valeur des étapes, soit qu'arrivée au but, elle s'amuse à le capitonner. Et puis elle a un langage très simple, ce qui est une qualité bien supérieure à la grandiloquence; mais parfois sa versification pourrait être un peu moins ingénue. Elle n'en reste pas moins, et avec assez d'évidence, la moins vague parmi ses concurrentes, la plus artiste, en même temps que la plus sincère et la plus personnelle. N'est-elle pas même la seule qui fasse ressortir de l'âme de la jeune fille autre chose que ce qui fut dilué par tout le monde depuis le déluge, et à nous le révéler de façon particulière et bien distincte? » S’en suivent des exemples commentés sur ce qu’il avance.

À la Éva Senécal de La Course à l’aurore, Pelletier reconnaît du talent, une « sensibilité […] vive et […] aiguë », « d’une délicatesse touchante » qui devient, malheureusement, « sensiblerie » et même « mièvrerie ». Pour lui, c’est surtout la composition du poème fait défaut : « … une suite de strophes jolies, harmonieuses, souvent éclatantes […] qui semblent parfois étonnées de se trouver ensemble. » Il reproche à la poète de se laisser emporter par les mots.

Il est plus sévère avec Alice Lemieux : « Les Poèmes de mademoiselle Alice Lemieux se distinguent de ceux de mademoiselle Senécal en ce qu’ils nous ne nous laissent pas d’impression, je veux dire d’impression particulière, d’impression autre que l’effet que saurait produire la frimousse d’une première communiante lorsqu’elle est dissimulée sous la blancheur des voiles. » Pour ce qui est du reste, il sert à Lemieux à peu près les mêmes reproches qu’il adressait à Senécal : la composition des poèmes fait défaut parce que l’auteur ne sait pas contenir son imagination, et qu’il ne peut y avoir de « perfection dans un poème […] sans l’intervention de l’intelligence régulatrice ».

À Simone Routier, il reproche surtout son style trop inégal : « il est haletant, disjoint, d’une syntaxe souvent embarrassée, fatiguée, clopinante. »

Il conclut ainsi : « Enfin, ces poèmes de jeunes filles, d'un individualisme intense et vivant, n'auront pas tombé en vain dans notre littérature moribonde d'impersonnalités, de généralités, de teintures livresques, de rêveries anonymes. Voici à peine quelques années que leur bon exemple se propage, et déjà le style de nos écrivains s'individualise, s'efforce en vers comme en prose à révéler le filon d'authentiques valeurs littéraires qu'est le caractère d'un artiste dans un milieu, une époque, un décor, des conditions d'existence déterminées. Et voilà pourquoi il nous faut reconnaître à ces jeunes poétesses le mérite d'avoir rendu à notre littérature un service de primordiale importance. La sincérité des sentiments, la vérité des analyses qui dominent dans chacun de leurs recueils, le lyrisme d'extraction intime qu'on y a très souvent substitué aux traditionnels enthousiasmes de commande et chaleurs d'emprunt, sont peut-être le gain le plus riche d'heureuses conséquences que les lettres canadiennes aient jamais enregistré. »

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