17 février 2011

A.-Gérin Lajoie d’après ses mémoires

Henri-Raymond Casgrain, A.-Gérin Lajoie d’après ses mémoires, Montréal, Beauchemin, 1912, 141 pages. (1re édition : 1886)

Le journal de Gérin-Lajoie n’était pas destiné à la publication. « Les confidences contenues dans ce cahier n'ont été écrites que pour mon utilité et pour l'instruction de mes enfants. Elles sont si intimes que si je n'ai pas le bonheur de laisser de postérité, elles devront disparaître avec moi. » Pour lui, il s’agit de laisser à « [s]es enfants un souvenir du jeune temps de leur père ». Selon Casgrain, les « enseignements trop utiles » et les « trop sages leçons » que ces mémoires renferment justifient la publication. Le rôle de Casgrain se limite à établir des liens entre les différentes parties qu’il a retenues.

Gérin-Lajoie est né en 1824 à Saint-Anne-de-Yamachiche. Ses parents étaient fermiers et c’est le curé de la paroisse qui décèle chez l’enfant une grande intelligence et l’envoie étudier à Nicolet. « Le passage de M. Lajoie au collège de Nicolet a fait époque dans le passé de cette institution. » À dix-huit ans il écrira Le Jeune Latour, ce qui lui vaudra une reconnaissance bien au-delà de son alma mater. C’est aussi dans les murs du collège qu’il écrira « Un Canadien errant ». Aux termes de ses études, il choisit de devenir avocat. Pour ce, il lui faut de l’argent : « Mais pour la réalisation de tous mes rêves de jeune homme, je comptais sans la fatale nécessité de gagner sa vie. Oh ! que l'on est heureux au collège d'ignorer ce que c'est que l'argent! » Il décide qu’un séjour de deux ans aux États-Unis devrait lui permettre de payer les années d’études que requiert l’obtention d’un « brevet ». Sans le sou, mal préparé, il passera 17 jours en sol américain (en 1844), se butant à toutes les désillusions. Il ira de New York à Boston, à la recherche d’un emploi, sans en trouver un : «Chaque soir, je revenais à mon logis, mort de fatigue, car la chaleur, à cette époque de l'année, était écrasante; mais mon esprit était encore plus fatigué que mon corps, j'étais complètement désillusionné; l'inquiétude s'emparait de moi, et malgré toute ma lassitude, je ne pouvais dormir. » Il doit même emprunter de l’argent pour rentrer à Montréal.

Là, il finit par trouver un travail à La Minerve, le journal de Ludger Duvernay, l’ancien « organe du parti patriote ». Mal payé, mais content d’y travailler, bientôt faisant à peu près tout, son séjour au journal dure deux ans et demis. Il trouve quand même le temps de s’impliquer dans la création de l’Institut canadien et d’agir comme secrétaire de la société Saint-Jean-Baptiste. À l’élection de 47, il appuie Papineau dans Saint-Maurice. Mais quand le tribun se tourne contre son parti, il le combat. Finalement reçu avocat, il n’exerce pour ainsi dire pas ce métier, son caractère s’y prêtant peu. Il devient fonctionnaire fédéral (le parlement est à Québec), ce qui lui donne plus de temps pour étudier et réfléchir. Dépité par la vie publique, il se dit que la vie simple du cultivateur instruit serait la vie rêvée. Il hésite à se marier, même s’il aspire à la tranquillité du bonheur domestique.

En 1852, il fait un séjour à Boston pour apprendre l’anglais et étudier les institutions américaines. Le feu du Parlement, son déménagement à Toronto (1855), puis son retour à Québec (1859) vont perturber sa routine. Il sera tour à tour secrétaire, traducteur, copiste, puis finalement responsable de la bibliothèque du parlement, un travail sur mesure pour lui. En 56, à Toronto, il rencontre la fille d’Étienne Parent. Il l’épouse en 58. Il prend une part active à la création des Soirées canadiennes et du Foyer canadien. Il publie Jean Rivard en 1862. Casgrain reconnaît que Gérin-Lajoie a en partie gâché sa carrière littéraire, trop occupé à gagner sa vie : « Au point de vue purement littéraire, Gérin-Lajoie a-t-il tenu les promesses de son jeune âge ? À cette question nous devons répondre : certainement non. » En 64, il suit le parlement qui déménage définitivement à Ottawa où il vivra jusqu’en 1882.

Extrait
Je caresse depuis quelque temps le projet de m'acheter une terre à la campagne, aussitôt que j'en aurai les moyens. L'état paisible du cultivateur me sourit toujours. Je l'ai déjà dit, je ne pourrai jamais être qu'un avocat, ou un journaliste, ou un cultivateur. D'après la manière dont j'envisage la chose aujourd'hui, je suis porté à croire que l'exercice de ma profession, qui ne m'a jamais plu, pour une infinité de raisons, ne me procurerait pas le bonheur. La carrière du journaliste pour laquelle je me sens beaucoup plus de penchant, est ingrate et stérile.



Le sort le plus désirable me paraît donc être celui du cultivateur instruit, qui n'est pas forcé de travailler lui-même du matin au soir; mais qui, après avoir passé une partie du jour dans sa bibliothèque, va dans son champ diriger les travaux de sa ferme et prendre un exercice salutaire ; qui à son retour s'entretient avec des voisins instruits sur les affaires publiques. Car je pense que, pour qu'à la longue cette vie des champs ne devienne pas ennuyeuse, il faut être entouré de quelques amis éclairés qui sachent nous comprendre et nous répondre. Il faut même, je crois, pouvoir se donner certains plaisirs de luxe, de ceux que nous avons en ville, tels que la musique, le chant, etc. On peut, par ce moyen, se délasser très agréablement de ses travaux champêtres, et couler des jours heureux dans l'innocence et la tranquillité.



Voilà pourquoi je projette d'aller m’établir d'ici à peu d'années dans la paroisse de Nicolet, entre le port Saint-François et le collège, pour être près des steamboats qui vont aux grandes villes, et du collège où j'aurai probablement toujours des amis éclairés et vertueux. Voilà pourquoi aussi je projette, avant de me rendre dans ce lieu, de m'attacher quelque jeune personne aimable et sensible, qui possède la musique et qui ait, comme moi, des goûts simples et champêtres. Mais laissons faire le temps. (p. 89-90)

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