8 mai 2012

Essais poétiques


Léon-Pamphile Lemay, Essais poétiques, Québec, Desbarats éditeurs, 1865, 318 pages.

Ému par la déportation des Acadiens,  Henry Wadsworth Longfellow publie en 1847 un long poème épique qui lui vaudra la gloire : Évangeline, A Tale of Acadie (Boston: William D. Ticknor & Company). Sur le Maine historical society website, on peut lire que c’est le Révérend Horace Conolly qui lui a fourni le sujet et l’angle pour l’aborder :  
On April 5, 1840, Longfellow invited a few friends to dine at his rented rooms in Cambridge at the Craigie House. Nathaniel Hawthorne brought the Reverend Horace Conolly with him. At dinner, Conolly related a tale he had heard from a French-Canadian woman about an Acadian couple separated on their wedding day by the British expulsion of the French-speaking inhabitants of Nova Scotia. The bride-to-be wandered for years, trying to find her fiancé. Conolly had hoped Hawthorne would take the story and turn it into a novel, but he was not interested. Longfellow, however, was intrigued, and reportedly called the story, "the best illustration of faithfulness and the constancy of woman that I have ever heard of or read." He asked for Hawthorne's blessing to turn it into a poem.
Dix-huit ans plus tard, Léon-Pamphile Lemay traduit « Évangeline » en français, traduction qui sera remaniée dans des éditions ultérieures. Ce long poème narratif occupe les 100 premières pages des Essais poétiques de Lemay, le deuxième recueil de poésie publié au Canada français (Fréchette a publié Mes loisirs, deux ans plus tôt).

« Évangeline », poème du plus pur romantisme (le héros plus grand que nature, l’excès des sentiments, la nature bienveillante, prolongement de Dieu), comprend deux parties. Le récit commence alors que les bateaux anglais sont dans le havre de Grand-Pré. Les Acadiens sont convoqués à un rassemblement dans l’église pour le lendemain. Ils ne connaissent pas les intentions des Anglais. C’est le soir choisi par Gabriel Lajeunesse pour faire sa « grande demande » à Évangeline Bellefontaine, deux jeunes qui s’aiment depuis leur enfance. Dès le lendemain, on célèbre les fiançailles, mais bien vite la cloche interrompt la fête. Tous les hommes doivent se rendre à l'église. On leur apprend que leurs biens sont confisqués et qu'ils seront déportés. Hommes, femmes, enfants sont embarqués brutalement sur les navires anglais sans tenir compte des liens familiaux. Le village est brûlé.

« Déjà s’étaient enfuis bien des sombres hivers », quand s’amorce la seconde partie du poème. Depuis la Louisiane, en suivant la voie du Mississipi, accompagnée d’autres proscrits, Évangeline se lance à la recherche de Gabriel, sans même savoir si ce dernier est encore vivant.  Rien ni personne ne peut la convaincre de renoncer à sa quête. Elle finit par retrouver le père de celui-ci, bien installé sur une terre au nord de la Louisiane avec d’autres Acadiens. Il lui apprend que Gabriel est parti à sa recherche il y a quelques jours. Évangeline et le père se lancent à sa poursuite, en espérant le rattraper. Peine perdue. Un aubergiste leur dit qu’il s’est dirigé vers l’Oklahoma afin de devenir coureur des bois. Ils continuent de suivre sa trace. Ils rencontrent une Autochtone qui les amène dans une mission. Ils apprennent que Gabriel y est passé il y a six jours et qu’il doit y revenir après sa saison de chasse. Évangeline décide de l’attendre pendant que le père retourne en Louisiane. Gabriel ne revient pas.

Quelques saisons ont passé quand Évangeline apprend que Gabriel est au Michigan. Elle repart à sa recherche, mais le rate encore une fois. Elle poursuit sa quête sans espoir, avant de s’installer au Delaware. « Elle avait bien vieilli; sa joue était fanée;  / Sa beauté s’en allait! Chaque nouvelle année / Dérobait quelque charme à son regard serein,  / Et traçait sur son front les rides du chagrin. » Elle finit par entrer au cloître, consacrant sa vie aux indigents. Une peste se déclare. Elle se porte au secours des malades. Et un jour, elle reconnaît Gabriel : « Près d’elle sur un lit où tomba son regard / On venait de porter un grand et beau vieillard ; / Mais il était mourant, et sa joue était creuse; / Des cheveux gris tombaient sur sa tempe fiévreuse. » Il ne lui reste plus qu’à rejoindre son amant : « Évangeline en pleurs resta pieusement / Près des restes sacrés de son fidèle amant. / Elle prit dans ses mains cette tète flétrie / Que depuis son enfance elle avait tant chérie, / La pressa doucement sur son cœur agité, / Puis inclina son front avec tranquillité : / — « Mon bon père, dit-elle, — Oh ! je te remercie  ! » / Elle avait terminé sa douloureuse vie ! / Elle allait maintenant rejoindre dans le ciel, / Pour ne le perdre plus, son tendre Gabriel ! »

Oui, c’est une histoire d’amour, mais c’est aussi une hymne à la nature américaine. Tous les déplacements d’Évangeline sont le prétexte pour louanger les grands espaces, la terre généreuse, presque idyllique. Les États-Unis sont présentés comme la terre d’élection des Acadiens. Ce poème a inspiré une chanson à Michel Conte en 1971. On trouve sur Youtube la version sobre d’Isabelle Pierre ou celle plus « sentie » de Marie-Jo Therio.

Comme mon compte rendu est déjà long, je vais me contenter de survoler les 200 pages qui complètent le recueil. Lemay y aborde déjà les thèmes qu’il va développer dans ses recueils ultérieurs, à ceci près qu’il n’a pas commencé à recenser les anciennes coutumes.  Il y parle de nature, de sentiment religieux (« Chant du matin », « Hymne à Marie »), de famille (« À ma petite fille »), de patriotisme (« Chant de la Saint-Jean Baptiste »), de certains sujets historiques (« Le rêve d’une jeune Huronne », « Souvenirs des braves de 1760 ») et de sujets plus personnels (« Regrets », « Sans toi… »).

Il ne dédaigne pas les sujets pathétiques (« Ironie et prière », « La petite mendiante », « Eugénie », (« L’aveugle de Lotbinière »). Ajoutons qu’il présente en traduction d’autres poèmes de Longfellow.

Ce qui étonne toujours lorsqu’on lit un poète de cette époque, c’est le peu d’attention qu’on porte à la composition du recueil. Les poèmes ne sont pas rassemblés par thème. Bien malin qui pourrait expliquer la place d’un poème. Pour le reste, Lemay n’est pas Fréchette : c’est un bon artisan, consciencieux, qui manque un peu d’éclat.

Extrait
C'est alors que l'on vit, au bord des sombres flots.
Un spectacle navrant. Les grossiers matelots,
En entendant les cris des malheureuses femmes,
Plus gaiment replongeaient dans les ondes leurs rames :
Par d'horribles jurons les soldats insolents
Des prisonniers craintifs hâtaient les pas trop lents.
L'époux désespéré parcourait la pelouse.
Cherchant, de toutes parts, sa malheureuse épouse.
Les mères appelaient leurs enfants égarés.
Et les petits enfants allaient, tout effarés.
Pareils à des agneaux cherchant leurs tendres mères !
Femme, cesse tes pleurs et tes plaintes amères :
Car tes pleurs seront vains et tes cris superflus !
Ton en enfant bien-aimé tu ne le verras plus !
Et toi, petit enfant, tu commences ta vie
Et déjà pour jamais ta mère t'est ravie !
On sépare, en effet, les femmes des maris ;
Les frères de leurs sœurs ; Ies pères de leurs fils.
Sur le sein de sa mère en vain l'enfant s'attache.
Aux baisers maternels un matelot l'arrache.
Et l'emporte, en riant, jusqu'au fond du vaisseau.
Quels soupirs ! quels transports ! quels cris, O Gasperau,
S’élevèrent alors de ta rive tranquille! (p. 41)

Sur l’Acadie
«Évangéline» dans Essais poétiques

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