29 janvier 2013

Sur les pas de nos littérateurs


Séraphin Marion, Sur les pas de nos littérateurs, Montréal,  Albert Lévesque, 1933, 198 pages.

Albert Lévesque développe au début des années 30 une collection intitulée « Les jugements ». Albert Pelletier lui-même, mais aussi Desrochers, Dantin, Grignon et Séraphin Marion vont y participer. Sur les pas de nos littérateurs compte neuf chapitres. Y sont critiqués : La vie en rêve et Le coffret de Crusoé de Dantin, Avec ma vie de Lucien Rainier, Les Oasis de Rosaire Dion, Juana mon aimée et Dolorès de Harry Bernard et quelques autres, dont Les bois qui chantent de Gonzalve Desaulniers. C’est cette critique que j’ai lue (pages 71-92)

« Thème d'inspiration des véritables poètes de tous les temps et de tous les pays, le sentiment de la nature a toujours joui d'une faveur particulière au pays de Québec. Le contraire aurait de quoi surprendre: avec son royal Saint-Laurent, ses rivières larges comme des fleuves européens, ses chapelets de lacs disséminant des haltes de lumière sur l'étendue sombre de la forêt canadienne, la France Nouvelle cachait dans son sein une profusion de paysages pittoresques. »

Après avoir noté que le thème de la nature allait de soi pour tout écrivain canadien, il salue la « très précieuse contribution au sentiment de la nature » de Gonzalve Desaulniers.  S’en suit une véritable défense de la poésie contre certains « rigoristes » qui refuse à la poésie de la nature tout droit d’exister. Du même pas, il attaque « les tenants d'un intellectualisme exagéré. Et Dieu sait si cette race a pullulé au pays de Descartes, de Boileau et des encyclopédistes » . Heureusement des écrivains, comme Gonzalve Desaulniers ont compris que les «  grandes voix de la nature sont celles de Dieu lui-même. »

Après ce long préambule polémique, Marion s’attaque au thème de la nature chez Desaulniers. Pour lui, l’auteur ne peut pas se contenter de décrire la nature, il lui faut encore « saisir les rapports secrets entre l’âme humaine et l’âme des êtres et des choses ».

A partir d’ici, l’article de Marion est toujours polémique. Pour des raisons que j’ignore, il essaie par tous les moyens de nous démontrer que Desaulniers est un classique (ancien) et non un romantique. Comme il le rappelle lui-même, les classiques ne se sont guère intéressés à la nature. Qu’à cela ne tienne! Marion oublie Desaulniers et part à la recherche de passages qui parlent de la nature chez les classiques. Il finit par en trouver des miettes chez Molière, La Fontaine et Madame de Sévigné et davantage chez les Anciens.

Les choses se compliquent un peu par la suite. Si les vers de Desaulniers sont classiques, l’auteur admet qu’il est « romantique  de tempérament ». « Sensible au charme des aurores et des crépuscules, aux fêtes des rayons et des couleurs, il nourrit  une  prédilection  toute  spéciale pour les paysages tranquilles et imprégnés de mystiques silences des fins d'après-midi automnales. » Mais attention! Pas d’esclandre romantique chez Desaulniers, mais un traitement sobre de la nature. Pour Marion, cette vision élégiaque vient en droite ligne de la culture antique. Il y a une « tranquillité virgilienne » chez Desaulniers. Et Marion de renchérir sur le caractère classique de cette œuvre : « Il excelle à suggérer d’harmonieux ensembles »,  « il ne perd jamais la tête et ne jette pas à tous les vents des accents amoureux », « ce qui revient à dire que l’art de M. Desaulniers est un art de pudeur et de discrétion ».

On finit par comprendre que cet acharnement à refuser que Desaulniers fasse partie des romantiques dépasse le domaine littéraire : « Qu'en des termes galants ces choses-là sont dites! Quel fossé entre l'époque qu'elles ressuscitent et la nôtre! Notre siècle a aboli les distances et supprimé les bonnes manières. Ainsi les fadaises, les fignolages autour de gentils riens, les superflus si nécessaires aux vrais poètes sont relégués dans le monde des vieilles lunes où s'amusent encore d'innocents littérateurs. Puisse le classicisme continuer à opérer dans notre démocratie nivelée par le bas un nécessaire renversement de valeurs en maintenant la primauté du spirituel et le prestige de la beauté dégagée de toute visée utilitaire. »

Après avoir dit que ce recueil va faire « époque dans nos annales littéraires », il daigne faire ressortir « certaines ombres minuscules au tableau ». Il lui reproche deux choses : son style parfois déclamatoire et l’introduction de poèmes patriotiques (il fallait le prévoir, c’est un thème romantique!).

Tout compte fait, il me semble que Marion n’analyse pas le recueil pour lui-même. Comme on l’a vu, il essaie davantage de défendre une thèse : le classicisme contre le romantisme. Simple goût personnel, polémique contre d’autres critiques?

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