3 avril 2013

Le Merle dans le cerisier


Nora Harvey-Jellie, Le Merle dans le cerisier, Montréal, Beauchemin, 1934, 72 p.

Chose rare, ce recueil contient une introduction et une conclusion. Voici l’introduction : « Le vieux merle, en sifflant, s’est trompé de mesure; / Le pinson, dans sa phrase, a commis une erreur; / Et moi j’ai négligé la classique césure, / Je ne sais que chanter ce que j’ai sur le cœur. » Début classique des recueils de poésie du premier tiers du XXe siècle : on s’excuse en entrant.

Le chant (et la musique) est à la fois le thème fort du recueil et la mesure du style de l’auteure, surtout dans les premiers poèmes, beaucoup plus légers. Les phalènes, les éphémères voisinent les oiseaux et les fleurs. Violoneux, ménestrel, harpiste se succèdent pour faire chanter la nature : « Je suis le poète amoureux, / Et je chante dans la rosée / De fruits, de fleurs et de ciel bleu… »  

Dans ces esquisses riantes vont apparaître assez rapidement des notes discordantes : il y a cette première neige qui « couvre[s] d’un manteau les mystères nocturnes, / La ruelle infectée et le ruisseau fangeux, / Le pauvre toit croulant, le château taciturne / Et la maison du vice ainsi que l’Hôtel-Dieu ». Apparaissent aussi la violence des hommes (voir l’extrait) et celle de la nature. En plus, l’attaque funeste du Temps menace de tout dissoudre, à commencer par l’amour : « Souvenir lumineux, unique au sein des jours / Lentement défilés en un morne cortège, / Mêlant sa chaude larme à l’idylle d’amour / Que le temps désagrège! » Les œuvres d’art, même quand elles représentent les dieux, « doivent mourir un jour! », à moins que, comme les gargouilles de Notre-Dame, elles subsistent comme objets de dérision : « Le fleuve houleux du temps coule sans vous atteindre / De son pouvoir de destruction. / Vous êtes condamnés à durer, et à feindre / La gaité ou la dérision. »

Le recueil se termine sur une dissonance (titre du dernier poème) : « Ma pensée évasive est un joyau perfide, / Tel qu’on en voit briller au fond d’un clair bassin. / Quand on l’a retiré de l’onde qui se ride, / C’est un caillou qu’on tient dans le creux de la main. » Sa pensée est devenue un caillou que l’on tient dans la main. Pour en faire quoi?

Il y a un peu de tout dans le recueil, de la légèreté, du sérieux, de la fantaisie, du classicisme et même un peu d’humour : « Ma vieille pipe culottée / Au noir fourneau, / Que de confidences soufflées / Dans ton tuyau. » 

D’un point de vue formel, la poète use souvent des formes fixes (rondeau, triolet, sonnet, etc.).

Le Petit Frère
(Mort au  champ d'honneur)

II était officier, il avait vingt-trois ans ;
Beaux cheveux blonds, yeux bleus, un sourire d'enfant.
Il était si content d'endosser  l'uniforme !
La guerre était pour lui une aventure énorme.
Lui  et ses compagnons  insultaient  l'ennemi ;
A la mort embusquée ils jetaient le défi !
C'était pour le Drapeau, pour l'honneur de la France
Que ces enfants partaient avec insouciance.
Ceux qui sont revenus, — ils n'étaient pas nombreux —
En ont gardé toujours  l'horreur au fond des yeux.

Il y a tant d'enfants qui sont morts à  la guerre,
                        Là-bas !
Mais lui, c'est différent ; c'était le petit frère...
                        Voilà !

Il était musicien; il écrivait des vers,
L'esprit tout embué de rêves,  inexpert !
C'était l'enfant choyé d'une grande famille,
Un fils venu enfin, après nombreuses filles ;
Tout petit on  l'avait bercé entre ses bras !

Il est mort en héros, le front troué d'éclats,
A l'instant, sans souffrir, a dit le capitaine :
(Le saura-t-on jamais ! Tourment de penser vaine.)
Quand elle apprit sa mort, la mère n'a rien dit ;
Elle a beaucoup pleuré, puis elle est morte aussi.

Il y a tant d'enfants qui sont morts à la guerre,
                       Là-bas! 
Mais lui, c'est différent; c'était le petit frère...
                       Voilà! (p. 53-54)

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