27 mars 2015

Jour malaisé

Gatien Lapointe, Jour malaisé, Montréal, s. e., 1953, 93 pages.

Gatien Lapointe n’a que 22 ans lorsqu’il publie, à compte d’auteur, Jour malaisé, recueil qu’il désavouera dans une entrevue donnée à Donald Smith : « Ce sont là des brouillons de poèmes que j’ai publiés trop tôt. » (L’Écrivain devant son œuvre, 1983). Le recueil compte 64 poèmes répartis en sept parties : Offrande, Musiques peintes, Aquarelles d'automne, Chiffons de lumière, Étoiles mortes, Murailles du soir, Jour malaisé. Je ne suis pas sûr qu’il y avait matière pour un découpage aussi fin. En fait tout le recueil baigne dans la même atmosphère, même si les titres de chacune des parties peuvent laisser entrevoir une évolution.

Ce qui dynamise l’inspiration, ce sont l’opposition entre un passé heureux et un présent malheureux et la dualité entre le corps et l’âme. Autour de ces tensions, se déclinent les motifs suivants : crainte du désir et de la chair, perte de l’amour, dérive morale, culpabilité, repentir, déréliction de soi, enfance refuge… 

« Offrande » ne contient que le poème éponyme, paradoxalement écrit au passé. On a l’impression que le poète veut tirer un trait sur son présent : « j’ai brûlé toutes les musiques... J’ai versé tous les symboles de l’Amour... J’ai donné un grand bal à mon âme ». L’offrande a ici davantage valeur de purification que de don.  « Musiques peintes » évoquent un amour ancien, un temps heureux désormais révolu : « Pourquoi / Cette marche aux plaines rougies / Des anciennes étés / pourquoi ce retour inutile / Vers d’anciennes amours ». Dans « Aquarelles d’automne », le poète se rappelle son enfance rurale, mais aussi les « blessures du péché ». Il cherche une voie de régénérescence : «  je cherche dans le passé / Les mains libres de l’amour // un sourire qui se rallume / Sur les fagots de l’automne ». Dans « Chiffons de lumière », on retrouve à peu près  la même problématique : « Autrefois tes yeux étaient purs et calmes / ... / Regarde-les aujourd’hui tes yeux / Des lambeaux de ciel endolori ». « Étoiles mortes » et « Murailles du soir » évoquent la perte des repères. Ce sont surtout les croyances religieuses qui semblent s’écrouler. Lapointe y mentionne la  « ruine des dieux »,  les « ruines de [s]es idoles » et finit par déclarer que « les hommes n’ont plus besoin de dieux ». Le poète est enfermé dans un monde de clair-obscur, de nuit, où tout n’est que mensonge, solitude, incompréhension, un monde vide dans lequel, « la raison n’ose plus inventer / D’autre dieu ». « Jour malaisé »,  qui conclut le recueil, n’ajoute rien de neuf : encore une fois, c’est l’état de confusion d’un homme qui se retrouve devant un monde incompréhensible.

Jour malaisé est assez représentatif des années de la grande noirceur. On s’agite dans le sombre, l’horizon semble complètement fermé. Un sentiment d’enfermement, d’impuissance traverse le recueil. Inutile de préciser qu’on est très loin des grands recueils que Lapointe nous donnera dans les  années 60 : Ode au Saint-Laurent, Le Premier Mot.

JOUR MALAISÉ
Au-dessus des clairs de lune
L'aube embrouille les mensonges
Nos secrets d'amour
Le feu recommence
La sarabande des nostalgies bleues
Sans soif l'heure chemine
Vers l'éternel Néant
Et le soleil ignore encore
La chair impure des âmes
Dans l'herbe
Un oiseau s'étonne
Regardant pâlir les ciels d'été
L'automne vieux qui tend la main
Au printemps tout confus
Devant tant de dieux
Et par delà le silence de la raison
J’oublie tous mes livres d'enfant.

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