14 novembre 2015

Osmonde

Jean-Paul Martino, Osmonde, Montréal, ERTA, 1957, 58 pages (Frontispice de Léon Bellefleur)

Si je me fie à La Flore laurentienne, il y aurait trois variétés d’osmonde au Québec : l’osmonde royale, l’osmonde cannelle et la claytonie (chère à Miron). Pour le commun des mortels, l’osmonde est une grande fougère. Il ne faut surtout pas se fier au titre qui évoque une nature paisible (le sous-bois des fougères). Dans Osmonde, les fougères ont les allures fantasmagoriques du cauchemar et le poète est un homme en colère.

L’amour est un thème qui traverse le recueil : un amour tantôt douloureux, destructeur, scabreux; tantôt refuge, abri, « sublimatoire ». Même quand il pointe des « révolvers remplis d’amour » sur cette Inyassa qui l’a abandonné (« Inyassa mon amour ecchymosé de ton absence »), le poète continue à rechercher cet amour : « S’il advenait que je fisse mourir / Inyassa dans un de mes poèmes / Coupez-moi la tête et portez-la sur une croix à travers la ville ». L’amour est associé aux catastrophes humanitaires : « L’amour sort des fours crématoires » et : « Un flambeau nucléaire à l’intérieur d’une miche amoureuse ». Pourtant, l’amour constitue une voie de libération, d’exploration : « Chère Inyassa avec ses roses qui lui poussent sur le crâne / Et son œil orphelin en cristal pétassé / De sa cuisse s’émane un prisme de sentiments / Comme les yeux mélancoliques d’une vache / Étrangement cruels quand les branches fouettent le ruisseau / Vie embrasée rature ardente / Libération effervescente et translucide exploration / L’amour de la chair fiévreuse / Mer salée des bordels célestes ». On le sait, la représentation féminine (objet de contemplation, objet érotique, femme rêvée, femme démoniaque) des surréalistes a souvent été critiquée. Ne peut-on pas lire une déclaration d’amour dans l’extrait suivant? « Désir délire joie jouissance / Amour possédé amour donné / Jouir faire jouir / Amour amour amour / Femme homme femme homme enfant / Amour-joie amour-folie amour-générosité / Amouramouramour amour / Réciprocité des jours sans fin ».

Cette femme « Ruche-abbaye de l’amour sublimatoire » ne peut rien contre les cauchemars récurrents, le désordre psychique. « La vie et sa pestilence marbrée / Les plaies qui muent / Les murs désossés de leurs charpentes. » Martino décrit à maintes reprises un monde apocalyptique : « Au roulis délirant d’un tambour meurtri / Les cris rauques de caillots des agonisants / Les vociférations blasphématoires des désespérés / Les hurlements aigus des enfants piétinés ». On nage en pleine paranoïa : « La nuit je suis poursuivi par des M tentaculaires / Par des voix grises et rocailleuses / Et des mots qui projettent de multiples ombres / L’âme découpée dans un faisceau lunaire / Un vent d’ardoise traînant la mort à son flanc ». Il faut voir plus que le thème romantique du poète rejeté dans les vers suivants : « L’estomac du POÈTE vient d’éclater / La capsule / Un explosif à retardement / Éventré par le génie d’un sadique inventif / Traînant son sang et ses tripes sur la neige innocente ». 

Le poète cherche des coupables et s’attaque aux « domanistes » (« reptiles à attitude humaine »), aux religieux (« Tas de fumier sous la neige »), aux femmes (« Cent vierges à enfoncer qu’il me faut » ou « Périphérie douloureuse qui fige les articulations »). Les métaphores guerrières, les images de violences, de tortures, de supplices, de vengeance, les évocations de la folie abondent. : « Encore un arrachement de seins par un puma furieux / Ou un crabe géant qui vous étreint de ses serres sur son ventre glacé ». On dirait un être coincé qui ne sait plus sur qui frapper.

Martino est un épigone de Gauvreau. Tout comme son maître, il invente des mots, sans aller aussi loin : « supinataire, zoanthropique, empyème, nyctalopesurabiline, richopathos, escarlophages ». Ce n’est pas la filiation de Gauvreau mais celle d’Artaud qu’il revendique dans son recueil : « Quelle était cette voix à ma fenêtre la nuit de mes vingt ans / C’était toi ANTONIN / C’était toi ARTAUD / Dès cet instant mon esprit a fleuri à travers sa prison osseuse / Comme des taches de soleil sur la neige sombre ».

On trouve beaucoup d’images percutantes dans Osmonde. En voici quelques-unes : « orgies sulfuriques, envol cidrique, plantes cosmogoniques, couilles de l’arcadie, pestilence marbrée, latrines gloutonnes, pubis de satin chaud, corps ignifuge, l’égoïne de l’hallucination octuple, émotions combustibles, haleine équatoriale, souvenirs amiantes, l’ectoplasme amnésique, l’ozone croustillant ». Pour terminer sur une note plus légère, je cite ce court passage humoristique : « Une poule cannibale / Dans la végétation prolixe / Couvait imperturbable / Un singe lunatique ».

Frontispice de Léon Bellefleur

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