4 mars 2016

Le drame d'Aurore

Benoit Tessier (pseudonyme d’Yves Thériault), Le drame d'Aurore L'enfant martyre, Diffusion du livre, Québec, 1952, 168 pages.

Odilon Gratton, père d’Aurore, a épousé en secondes noces Mélanie, une veuve qu’il connaît à peine. Celle-ci a vite fait de constater que la petite n’a pas l’intention de la considérer comme sa mère. Dès le lendemain de son arrivée, commencent les supplices. Pendant que le mari est absent, elle oblige l’enfant, déjà chétive, à travailler comme un forçat, la privant de nourriture et lui assénant des claques quand ses ordres ne sont pas exécutés sur le champ. Pour empêcher l’enfant de tout révéler à son père ou à qui que ce soit, elle la menace de déclarer qu’elle est une voleuse. La marâtre en vient vite à la décision qu’il est préférable de se débarrasser d’Aurore. Elle voit la ressemblance de la jeune fille avec sa mère défunte et craint de jouer le second violon auprès de son nouveau mari. Elle profite du fait que ce dernier travaille à l’extérieur de la paroisse pour accomplir son funeste projet. Tout y passe : les taloches, les coups de poing, les coups de pied dans les reins, les corvées débilitantes, les privations de nourriture, le dénigrement, le sandwich au savon, les brûlures au tisonnier, les nuits au froid dans la grange. Les voisins finissent par s’en rendre compte mais il est trop tard : la jeune fille est agonisante. Le curé et les gendarmes débarquent et Mélanie est accusée de meurtre. Tous les témoignages lors du procès sont accablants. Finalement, même si elle est enceinte, la peine de mort (un mois après la naissance de son enfant) est prononcée. Elle ne sera pas exécutée puisqu’elle meurt en mettant au monde un enfant prématuré qui ne survivra pas.

L’histoire est menée tambour battant, les scènes occupant l’essentiel, les analyses servant tout au plus à crédibiliser le comportement de la mégère. On a beaucoup de difficulté à accepter que c’est la rigueur morale qui empêche cette petite fille de dénoncer son bourreau : elle a tellement peur qu’on l’accuse d’avoir volé qu’elle se tait. « Elle possédait un sens profond de l’honneur. Et elle n’aurait voulu pour rien au monde d’être accusée de ce crime. Surtout pas devant son père. » La psychologie du père, tantôt dur tantôt tendre, ne tient pas la route et la montée de violence chez la marâtre repose sur bien peu de choses : « Pourtant la cruauté de Mélanie était évidente. Elle se lisait dans ses yeux, sur le pli de la lèvre, dans la carrure masculine et le geste rude. »

La version d’Émile Asselin, plus développée, plus complexe, est supérieure à celle de Thériault qui s’en tient à l’essentiel. La fin, très moralisatrice, est une invention de Thériault si je me fie à ce que j’ai lu sur le sujet. Par ailleurs, il réhabilite le père, il en fait  même une victime de la marâtre (« Telle est l’inconscience d’un homme devant les ruses d’une femme. »), ce qui n’était pas le cas dans les autres versions. Il excuse aussi les voisins, le curé et la maîtresse d’école qui ont vu mais n’ont pas bougé, par lâcheté. Bref, tous des « innocents » sauf la mégère.

Aurore l’enfant martyr sur Laurentiana
La Petite Aurore d’Émile Asselin
Aurore l’enfant martyre de Léon Petitjean et Henri Rollin

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